dimanche 29 décembre 2013

Finance : ces capitaux qui fuient l’Afrique

Par: MasimbaTafirenyika

La fuite des capitaux ponctionnent les ressources du continent, le privant d’investissements vitaux.

Les chiffres sont stupéfiants : entre 1980 et 2009, l’Afrique a perdu entre 1 200 et 1 400 milliards de dollars, soit à peu près l’équivalent de son produit intérieur brut actuel. Ces chiffres ne sont pourtant qu’une des facettes d’un système extrêmement complexe et dont la longue histoire, rarement évoquée sur la place publique contraste avec ses conséquences désastreuses. « L’hémorragie illicite des ressources de l’Afrique représente près de quatre fois sa dette extérieure », constate un rapport conjoint de la Banque africaine de développement (BAD) et de Global Financial Integrity, une ONG américaine. 

Les flux financiers illicites sont définis comme l’argent gagné illégalement et transféré ailleurs. Il provient généralement d’activités criminelles, de la corruption, de la fraude fiscale, de pots-de-vin et de la contrebande.
Pour le quotidien britannique The Guardian, les estimations de la BAD et de l’ONG américaine, aussi élevées soient-elles, sous-estiment sans doute l’importance du problème, puisqu’elles ne reflètent pas la perte de fonds occasionnée par le trafic de drogue et la contrebande. 


Inverser le raisonnement 
« L’idée dominante a toujours été que l’Occident injecte de l’argent en Afrique, par le biais de l’aide étrangère et aux autres flux de capitaux du secteur privé, sans recevoir grand-chose en retour », estime Raymond Baker, le président de Global Financial Integrity. Pour M. Baker le rapport contredit ce raisonnement. 

L’Afrique est le créancier net du reste du monde depuis des décennies, analyse-t-il. Pour le professeur Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la BAD, qui est du même avis, « le continent africain est riche en ressources naturelles. Avec une bonne gestion des ressources, il serait en mesure de financer en grande partie son propre développement.
La composition de ces flux contredit également d’autres idées reçues. Selon les estimations de Global Financial Integrity, la corruption sous forme de pots-de-vin ou de malversation ne représente que 3 % environ des flux illicites, les activités criminelles telles que le trafic de drogue et la contrebande, 30 % à 35 % et les transactions commerciales des multinationales, pas moins de 60 % à 65 %. 

L’argent volé par les administrations publiques corrompues est insignifiant comparé aux autres formes de flux illicites, explique M. Baker. L’argent illicite franchit généralement les frontières dans le cadre du commerce international. 
Raymond Baker

Des informations incomplètes
Un Groupe de haut niveau de dix membres, présidé par l’ancien Chef d’État sud-africain Thabo Mbeki assisté par Carlos Lopes, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) étudie la question.  Parmi les membres du Groupe figurent le Professeur Baker et l’Ambassadeur nigérian SegunApata. Selon la CEA, les flux illicites réduisent les recettes fiscales de l’Afrique, fragilisent le commerce et l’investissement, en plus d’aggraver la pauvreté. Le rapport du Groupe sera publié en mars 2014. 
La mission du Groupe s’annonce difficile. Charles Goredema, chercheur à l’Institut d’études de sécurité basé en Afrique du Sud (ISS), note que dans bon nombre de pays africains, les informations sur les flux financiers illicites « sont sommaires, dissimulées dans une foule d’informations contradictoires et éparpillées à divers endroits ». Il place les centres des impôts et les ministères des mines en tête de liste des organes les plus réticents à communiquer les informations. 
M. Goredema estime que l’évaluation des flux financiers illicites est le lieu de nombreuses conjectures et les chiffres varient de 50 à 80 milliards de dollars par an. Les estimations de la CEA avancent quant à elles un chiffre supérieur à 900 milliards de dollars pour la période 1970-2008.
« L’absence de consensus s’explique probablement par le fait que la zone concernée est assez vaste, et par le fait que chaque organisation ne peut avoir accès qu’à une partie de celles-ci à un moment donné », écrit M. Goredema.

Manipulation des prix 
Les groupes de recherche et de pression ayant étudié la question des flux financiers illicites voient néanmoins un lien direct entre ces flux et les efforts de l’Afrique visant à mobiliser ses propres ressources. Malgré une croissance annuelle de 5 % ces dix dernières années le continent peine à mobiliser ses ressources intérieures. Cet élan économique a au contraire provoqué une explosion des flux financiers illicites, déclare l’Ambassadeur nigérian SegunApata.
Il existe de nombreux moyens de détourner des fonds, notamment la surfacturation ou la sous-facturation de marchés, les prix de transfert et le recours aux centres bancaires et financiers extraterritoriaux et aux paradis fiscaux. Lorsqu’une multinationale décide du montant des bénéfices à attribuer aux différentes branches d’une même société établie dans plusieurs pays, il y a un prix de transfert, puis on détermine le montant des impôts à verser à chaque administration publique. Les multinationales sont impliquées dans près de 60 % du commerce mondial.
« Bon nombre de pays en développement sont dotés d’un régime de prix de transfert faible ou incomplet », déclare The Guardian en s’appuyant sur un document de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), un groupe de pays à économie développée. D’après ce document, les pays pauvres ne pèsent pas lourd dans les négociations. 

« Certains [pays] éprouvent des difficultés à appliquer ce régime en raison du caractère lacunaire de la législation, de l’absence ou de la faiblesse des règlements et lignes directrices à l’usage des entreprises », indique le document de l’OCDE, ajoutant que les pays pauvres disposent d’une expertise technique limitée pour évaluer les risques des prix de transfert, ainsi que pour négocier des ajustements avec les multinationales.

Des refuges fiscaux extraterritoriaux 
D’après le document de l’OCDE, les pays membres ne parviennent pas à identifier les propriétaires des entreprises bénéficiaires du blanchiment d’argent. Il accuse les membres de l’OCDE de ne pas suffisamment sévir contre les flux illicites. L’OCDE recommande à ses membres d’investir dans les systèmes fiscaux et anti-corruption des pays pauvres, pour obtenir de meilleurs résultats. 
Aujourd’hui, la majeure partie des flux illicites est véhiculée par l’entremise de paradis fiscaux internationaux, déclare la Fondation Thabo Mbeki, une ONG créée par l’ancien président. La fondation accuse les « juridictions opaques » d’abriter des millions de sociétés écran et fictives. 
« Les pays en voie de développement perdent trois fois plus dans les paradis fiscaux que les aides qu’ils reçoivent », a déclaré Melanie Ward dans les colonnes de The Guardian. Mme Ward est l’une des porte-paroles de la campagne Enough Food for Everyone IF, une coalition d’associations caritatives réclamant des politiques alimentaires plus justes, et responsable du plaidoyer pour ActionAid, organisation de lutte contre la pauvreté. 
En 2007, un rapport de la Banque mondiale et de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime estimait qu’avec 100 millions de dollars restitués à un pays en développement, il serait possible de financer de nombreuses urgences. Quelques exemples : jusqu’à 10 millions de moustiquaires imprégnées d’insecticide, 100 millions de traitements curatifs contre le paludisme, le traitement de première intention contre le VIH/sida pour 600 000 personnes pendant un an et le raccordement de 250 000 foyers à l’eau potable ou 240 km de routes goudronnées à double voie. 
Le soutien en vue de l’instauration de nouvelles règles visant à limiter les refuges fiscaux extraterritoriaux est venu d’une source inattendue : les dirigeants de huit des plus grandes économies mondiales, le Groupe des Huit (G8). Touchés par la crise financière mondiale de 2008, les dirigeants du G8, réunis lors du sommet de Lough Erne en Irlande du Nord cette année, ont pour la première fois, présenté des lois pour lutter contre l’évasion fiscale. Ces lois obligeront désormais les multinationales à divulguer le montant des impôts qu’elles paient dans les pays où elles sont établies.  
À l’approche du sommet, des groupes s’étaient mobilisés pour obtenir des pays riches qu’ils établissent des lois pour la transparence de l’impôt sur les sociétés. Parmi eux figurait l’Africa Progress Panel, présidé par l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan. La veille du sommet, il publiait son rapport annuel, très critique à l’égard des lois actuelles sur la transparence des multinationales notamment. 

Actes invraisemblables 
« Il est invraisemblable que certaines entreprises, souvent soutenues par des fonctionnaires malhonnêtes, pratiquent une évasion fiscale contraire à l’éthique et se servent des prix de  transfert et de sociétés anonymes pour maximiser leurs profits, alors que des millions d’Africains sont privés de l’accès à une nutrition adéquate, à la santé et à l’éducation », écrit M. Annan dans l’avant-propos du rapport. Selon lui, l’évasion fiscale est une entrave à la répartition équitable entre les citoyens africains des bénéfices issus de leurs abondantes ressources.
Finalement, le G8 a adopté la Déclaration de Lough Erne, qui en 10 points appelle à la révision des lois. La déclaration incite aussi les autorités à communiquer systématiquement leurs informations fiscales aux autres pays pour lutter contre l’évasion fiscale. Elle souligne que les pays pauvres doivent disposer des informations et des moyens leur permettant de percevoir les impôts qui leur sont dus. La déclaration demande en outre aux sociétés extractives de déclarer les paiements à tous les gouvernements, qui à leur tour doivent les publier. 
Si le Financial Times a accueilli la déclaration comme « une avancée » dans la transparence des sociétés, Sally Copley, une autre porte-parole de la campagne IF, déclare dans un communiqué : « Le débat public pour une répression de la fraude fiscale a été remporté, mais le combat politique continue. » Elle souhaite que le G8 impose des règles strictes sur l’évasion fiscale.
De son côté, le Rapport 2013 sur les progrès en Afrique, exige des solutions multilatérales aux problèmes mondiaux car « l’évasion fiscale, les transferts de richesses illicites et les pratiques pour fixer des prix inéquitables sont soutenus par les systèmes commerciaux et financiers mondiaux ». Il incite les citoyens africains à exiger de leurs gouvernements qu’ils répondent aux normes les plus strictes en matière de propriété et de publication, et les pays riches à exiger la même chose de leurs sociétés. 
Les initiatives des institutions en Afrique et l’adoption de la Déclaration de Lough Erne font naître l’espoir de règles strictes contre la fuite de capitaux africains. « Saisir ces opportunités sera difficile. Les gaspiller serait impardonnable et inexcusable », avertit M. Annan. En attendant, le slogan de la CEA « Identification. Blocage. Réappropriation. », décrit bien ce qu’il convient de faire pour mettre fin à l’hémorragie. 
                                

samedi 21 décembre 2013

Gestion des conflits en Afrique : l’apathie de l’Union Africaine mise à nu

Par Marie-Noëlle Guichi

Un jeune Camerounais vient de consacrer, avec brio, une étude sur la problématique des positions communes de l’Organisation panafricaine, à la lumière des conflits Ivoirien et Libyen de 2011. Il en ressort que l’Union Africaine n’a pas toujours su faire bloc, pour défendre des positions communes face au reste du monde.

Cette étude a été réalisée dans le cadre d’un mémoire en vue de l’obtention d’un diplôme de Master en Relations Internationales, option Intégration Régionale et Management des Institutions Communautaires (IRMIC), à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun, IRIC.

GISLAIN TAKOUO face au Jury
Son auteur,  GISLAIN TAKOUO LAHA Théophile, déjà titulaire d’un Master en Histoire n’y est pas allé du dos de la cuillère, lors de sa soutenance jeudi, 19 décembre dernier à Yaoundé, devant un jury qui s’est montré séduit par sa maîtrise du sujet. Du coup, le jeune diplomate s’est vu attribuer la notre de 18 /20, avec la mention « Excellent ».

C’est le contraire qui aurait surpris. Dans une salle archi comble, et face à un jury de trois, présidé par l’anticonformiste Pr. Pascal Charlemagne Messanga Nyamding, ce jeune de 25 ans n’a pas eu le moindre tract, déroulant son speech, quinze minutes durant, sans le moindre document en main ; et se permettant de citer, mot à mot, des théoriciens ayant travaillé sur ce sujet avant lui.

Pour cet étudiant, « Bégaiement » et « apathie », semblent être les justes mots d’avec lesquels il convient désormais de qualifier les réponses de l’Union Africaine dans les crises que traversent ses membres et dans lesquelles elle devrait en principe agir avec « promptitude » et « tact ». « Les raisons d’une telle descente aux enfers sont bien connues : intérêts égoïstes de certains Etats, rejet de la dimension supranationale de l’intégration, pour n’en citer que celles-là », déclare GISLAIN TAKOUO.

Emerveillement

« L’expérience des conflits ivoirien et libyen de 2011 est encore assez vivace dans nos mémoires pour rendre compte du "bégaiement" et de l’apathie de l’Union Africaine face à des questions d’enjeu sinon vital, du moins crucial pour le continent », insiste le candidat.

Une attitude GISLAIN TAKOUO pendant les échanges
A la fin de sa présentation, faite avec beaucoup d’éloquence, le jury n’a pas caché son émerveillement. « C’est la première fois, depuis la quinzaine d’années que j’enseigne à l’IRIC, qu’un étudiant s’exprime sans papier et sans émotion, sans peur», confie Dr. Emmanuel Wonyu, directeur de ce mémoire fait sous la supervision du Pr. Laurent Zang.

Dr. Emmanuel Wonyu, par ailleurs Secrétaire général du ministère des sports et de l’éducation physique, a ainsi loué l’éclectisme et le courage scientifique de ce jeune chercheur « très studieux, pointilleux sur les détails, habité par son sujet… qui prend des positions là où beaucoup d’étudiants se contentent de faire des synthèses plates », dira-il. « C’est un panafricaniste militant. Nous avons travaillé en bonne intelligence », a ajouté Dr. Emmanuel Wonyu.

Tout aussi impressionné par la qualité de ce travail, tant sur la forme que sur le fond, Dr. Armand Elono, également enseignant à l’IRIC et examinateur de ce mémoire, affirmera qu’il est « excellent, bien fouillé, avec une écriture fine. Il n’y a rien à redire », pense-t-il. Il apportera juste un commentaire pour relancer le débat.

Puissance évacuée 

Une photo avec le jury à la fin
Pour lui, le silence assourdissant de l’Union Africaine, à chaque fois qu’un conflit est déclenché, est dû à l’absence d’une pensée de la puissance sur le continent. Il note que « la question de la violence, qui se trouve à l’intérieur de la puissance est évacuée ». Et lui de déplorer le fait que l’Union Africaine privilégie  le côté « humaniste », en mettant de côté l’aspect « armée ».

 « Dès lors, l’extérieur impose à l’Afrique ses éléments de puissance parce que l’Afrique a décidé de ne pas être puissante », soutient Dr. Elono qui a suggéré à l’étudiant de poursuivre ce travail, dans le cadre d’une thèse, en intégrant la philosophie de la puissance, qu’il faut mettre dans la philosophie du développement. Il en conclut que « si on associe les deux, l’Afrique peut être émergente ».

Quant au  Pr. Pascal Charlemagne Messanga Nyamding,  Président du Jury et lui aussi enseignant à l’IRIC, il a relevé chez le jeune chercheur « une très bonne maîtrise des théories et une très bonne interprétation des textes normatifs », pourtant, il n’est pas juriste. Mais il s’étonne que GISLAIN TAKOUO n’aborde pas dans cette recherche les théories Tiers-mondistes et développementalistes. « Mettons beaucoup d’Afrique et il y’aura peu de France », a martèlé le Dr Wonyu.

Lettre à la poste
Au regard de la clarté du travail, le président du jury et l’examinateur se sont contentés de recommandations, pour ouvrir la discussion. Fait curieux, seul le directeur du mémoire s’est permis quelques questions à son filleul, sans doute pour qu’il y’ait véritablement soutenance et que ce travail ne passe pas comme lettre à la poste. Il lui a demandé, entre autres, d’expliquer ce qui fait que l’Afrique n’arrive pas à faire bloc, dans un monde qui se construit en bloc et en grands ensembles.

Répondant à cette question majeure, sujet même du mémoire, le candidat déclare que plusieurs raisons sont à évoquer. D’une part, l’Union Africaine évolue dans un contexte international où les Etats membres ont du mal à s’exprimer. D’autre part, il y’a les contraintes internes des Etats. Le candidat s’est par exemple appuyé sur la théorie marxiste de la dependencia pour montrer la difficulté de certains Etats à respecter les positions communes.

« Le cordon ombilical n’est pas encore rompu entre l’Afrique et les puissances colonisatrices d’hier », dira-t-il, tout en relevant l’urgence d’un vrai panafricanisme, d’une renaissance de l’Afrique. Un panafricanisme en lequel GISLAIN TAKOUO dit croire, même si l’accomplissement n’est pas à brève échéance.




Plus loin avec… GISLAIN TAKOUO

« Que les praticiens du panafricanisme puissent s’en approprier »

A la fin de sa soutenance, le jeune chercheur panafricaniste s’est prêté à nos questions, revenant sur les motivations de cette étude, sa nouveauté, et sa portée.
  
Gislain Takouo lors de son speech
Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un sujet sur l’Union Africaine, pour votre mémoire ?

A l’heure de la crise post-électorale en Côte-d’Ivoire et de l’insurrection armée en Libye, grande a été la stupéfaction des Africains, à l’effet de constater qu’il était encore difficile pour les membres de l’UA de formuler et de soutenir une position commune. Pourtant, son Acte Constitutif réaffirme avec vigueur en son article 3 alinéa "d", la détermination de l’organisation continentale à, je cite, « promouvoir et défendre les positions africaines communes sur les questions d'intérêt pour le continent et ses peuples ». Ces deux situations paradoxales ont suscité chez nous un besoin pressant : celui de comprendre les mobiles profonds qui peuvent justifier un tel état des choses. Et c’est ce besoin de compréhension qui constitue, au demeurant, le signal incitatif de notre recherche.

L’indolence de l’Union Africaine face aux multiples conflits qui se déclarent sur le continent est un secret de polichinelle. Quelle est la nouveauté de votre travail ?

C’est  vrai qu’il serait quasiment trivial de prétendre conduire une recherche scientifique de haut niveau comme celle-ci pour aboutir à la conclusion selon laquelle l’Union Africaine serait indolente face aux conflits qui subsistent en Afrique. Oui, la montagne aurait accouché d’une souris ! Conscient donc de ce  fait, nous sommes allés au-delà de ce simple constat pour questionner les raisons qui peuvent justifier cet état des choses ; car à notre avis, toute solution à un problème commence par la compréhension du problème en lui-même. Plus encore, nous avons formulé, au regard des causes que nous avons pu relever, un certains nombre de propositions de solution pour "renverser la vapeur". Notre vœu le plus cher est que ce travail ouvre davantage le débat sur cette question et, surtout, que les praticiens du panafricanisme puissent s’en approprier, afin qu’il contribue autant que faire se peut à la construction de l’édifice panafricain.

Vous constatez dans votre étude que la formulation et la défense des positions communes au sein de l’UA demeure encore un réel défi pour cette organisation. Que peut faire l’Union Africaine pour faire face aux élans égoïstes de ses membres ?

Dans le cadre des suggestions que nous avons faites à ce sujet, nous estimons qu’il serait de l’intérêt de cette organisation de procéder à un réaménagement structurel et fonctionnel qui puisse lui permettre de renforcer les cadres du  régionalisme qui sont encore supplantés par ceux de l’intergouvernementalisme. Le réaménagement des structures de l’UA devrait intervenir dans l’optique d’un rééquilibrage des différents cercles de prises de décision et du réajustement des relations de l’organisation continentale avec les CERs (Communautés Economiques Régionales) qu’elle a désignées comme étant les piliers de l’intégration  africaine. Il s’agira donc, dans ce cas, de revisiter  l’agencement de ses différentes structures pour parfaire sa productivité et, partant, mieux garantir  l’adhésion des Etats membres aux positions communes continentales.
Par ailleurs, au regard du fonctionnement de l’UA aujourd’hui, il semble que les Etats membres mesurent mal tout l’intérêt qu’ils pourront tirer de la réalisation du projet d’intégration continentale. Une meilleure sensibilisation de ces derniers sur leur intérêt à y  participer  pourrait  assurément permettre de les rapprocher davantage de l’Union et, de ce fait, réduire l’impact de  la non-participation de certains Etats membres à ses activités.

L’un des membres du jury propose à l’Afrique la philosophie de la puissance comme solution aux attaques extérieures. Qu’en pensez-vous ?

Nous recevons cet élément comme une contribution importante qui rentre en droite ligne de nos objectifs de recherche ; et sans toutefois s’opposer aux approches qui sont les nôtres. En effet, nous partageons entièrement cette vision de la puissance qui vient rompre avec l’angélisme traditionnel des Etats africains en général et de l’UA en particulier, lorsque le continent fait face à des enjeux importants. Si vous prenez des questions internationales d’actualité telles que le nucléaire ou encore le problème d’un siège permanent pour l’Afrique au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, vous verrez bien que le refus obstiné des puissances occidentales à ouvrir ces portes aux Etats africains vient du fait qu’ils sont conscients du rôle que joue la puissance dans l’émergence et la prospérité des nations.

Quelle suite envisagez-vous, après un master sur la problématique des positions communes de l’Union Africaine face aux conflits ?

Comme le jury l’a si bien relevé, je suis un fervent militant du panafricanisme, puisque j’ai par ailleurs dirigé le Club Union Africaine de l’IRIC pendant les années que j’y ai passé. Après  une  telle étude, je compte porter désormais mes efforts au plan pratique et à quelque niveau que ce soit, pour l’avancement de la cause panafricaine. Par ailleurs, je ne suis pas resté insensible à la proposition de mon assesseur de poursuivre cette réflexion en thèse et donc, je compte bien m’y engager en fonction des opportunités.

Réalisée par Marie-Noëlle Guichi



mercredi 18 décembre 2013

Elaboration de l’Agenda 2063 : l’Union Africaine sollicite les médias

Par Marie-Noëlle Guichi

A l’invitation de l’organisation panafricaine, des journalistes africains se sont retrouvés à l’hôtel Hilton de Yaoundé du 10 au 13 décembre 2013, pour apporter leur contribution, à la construction en cours, d’un nouveau plan de développement de l’Afrique, appelé « Agenda 2063 ».

Ils ont été une trentaine de journalistes, venus de tous les horizons d’Afrique, à prendre part à ces assises. Dès l’ouverture de la rencontre, Habiba Mejri-Cheikh, Directrice de la division de l’Information et de la communication à la Commission de l’Union Africaine, a campé le décor.  
Habiba Mejri-Cheikh

 Pour elle, il est question, à travers cette consultation, « d’impliquer les journalistes africains dès la phase de l’élaboration de la vision de l’Union Africaine pour les 50 ans prochaines années (Agenda 2063, NDLR), afin qu’ils soient suffisamment imprégnés, comprennent les enjeux, pour mieux informer les populations, appelées à s’approprier véritablement ce nouveau programme », a-t-elle déclaré à l’entame de la concertation avec les médias. 

Les aspirations des populations
Allant dans le même sens, Mandla Madonsela, directeur de la planification stratégique à la Commission de l’Union Africaine, et cheville ouvrière de l’Agenda 2063, a indiqué à son tour que « cet agenda est basé sur les aspirations des populations, tout en englobant et en poursuivant les idéaux du panafricanisme ». Son élaboration dira-t-il, se fait à travers un processus axé sur les peuples. D’où ces concertations lancées depuis septembre 2013, et qui ont déjà enregistré l’apport de la société civile, du monde académique, de la diaspora, de divers groupes de réflexion, de la jeunesse, des femmes, et des médias aujourd’hui. 

Au cours de leurs travaux, les journalistes ont formulé le vœu pour une Afrique prospère, paisible, démocratique, juste, avec des populations bien informées, qui font des choix conséquents. Une Afrique qui exploite ses ressources naturelles au bénéfice de ses fils et filles. Une Afrique où les leaders s’inspirent du modèle de gouvernance laissé par Nelson Mandela. Une Afrique Unie à travers un gouvernement et un parlement uniques. 

               Mandla Madonsela et Habiba Mejri-Cheikh
Un rôle de locomotive

Une Afrique où certains grands Etats jouent un rôle de locomotive, comme ça se fait ailleurs, pour porter le continent. Une Afrique où l’on tait les égoïsmes nationaux au profit de l’intégration sous-régionale et régionale au niveau politique, économique, social et culturel. Une Afrique où se développe un panafricanisme pragmatique au cours des 50 prochaines années, et non un panafricanisme centré sur les discours creux. 

Une Afrique où l’Etat de droit existe ; où la circulation des biens et des personnes est une réalité ; où le désenclavement aérien, ferroviaire et routier est effectif. Une Afrique où l’écotourisme constitue une source d’enrichissement et de développement.

Une Afrique où les pandémies telles que le VIH/SIDA, le paludisme, l’hépatite virale, la méningite, la mortalité infantile et maternelle, la famine, le chômage…sont éradiquées. Une Afrique de liberté d’expression ; où l’éducation basée sur l’étude la propre histoire du continent et de ses traditions est une opportunité pour tout le monde.

mardi 17 décembre 2013

Agenda 2063: plus loin avec…Mandla Madonsela

Recueillis par
Marie-Noëlle Guichi
« Raviver l’esprit du travail collectif…» 

Mandla Madonsela
Le directeur de la planification stratégique à la Commission de l’Union Africaine, apporte davantage d’informations sur le contexte, les contours et les stratégies de l’Agenda 2063.

L’Agenda 2063, est-ce simplement une vision ou un plan d’action pour l’Afrique ?

L’Agenda 2063 englobe à la fois une vision et un plan d’action. Il s’agit d’un appel à l’action à tous les segments de la société africaine, à travailler ensemble en vue de construire un avenir et un destin communs, basés sur la vision de l’Union Africaine.

Pourquoi adopter un programme sur 50 ans,  une période de planification extrêmement longue ? Est-ce un choix réaliste ?

Le choix de 50 ans doit être pris de façon symbolique, dans le cadre du cinquantième anniversaire de la création de l’OUA en 1963 et compte tenu de la nécessité, pour le continent, de faire le bilan de ses réalisations et de définir sa vision et ses objectifs à long terme. En termes opérationnels, l’Agenda 2063 pourrait par exemple être décliné en plans à court terme (10 ans), à moyen terme (10-25 ans) et à long terme (25-50 ans).

Quelle est la valeur ajoutée de l’Agenda 2063 et comment prend-il en compte les politiques et programmes passés et en cours aux niveaux national, régional et continental ?

L’Agenda 2063 doit être considéré comme une nouvelle étape dans les efforts déployés par les africains pour canaliser le développement du continent et renforcer l’intégration et l’unité africaines. Il vise à s’appuyer sur les réalisations et à tirer les leçons des efforts antérieurs, tels que le Plan d’action de Lagos, le Traité d’Abuja et le NEPAD, pour relever les nouveaux défis sur le continent, à court, moyen et long termes. Le principe est donc de poursuivre les actions tout en tirant les leçons qui s’imposent et en s’appuyant sur les réussites du passé. La question majeure qui se pose est de savoir comment améliorer et renforcer l’action.

Justement, comment rendre durable le fort engagement politique pris le 26 Mai 2013 par les Chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union Africaine ?

Grâce à la Déclaration solennelle adoptée lors de la 21ème session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine tenue ce jour-là à Addis-Abeba, les dirigeants africains, au plus haut niveau, se sont engagés à soutenir l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan stratégique national et continental à long terme. C’est un point de départ encourageant qui doit être exploité. Car il présente un point d’entrée pour traduire les déclarations et les engagements politiques en mécanismes concrets, et fournir les voies et moyens de suivre et de vérifier les progrès et faciliter la prise de décision en temps opportun sur les mesures correctives. 

Mandla Madonsela
 N’a-t-on pas besoin de mesures additionnels pour atteindre l’objectif visé ?

Elles sont nécessaires et pourraient être, entre autres, la désignation de points focaux nationaux de l’Agenda 2063, l’intégration des étapes et cibles de l’Agenda 2063, dans les cadres nationaux de planification, ainsi que l’information régulière de l’exécutif et des parlementaires sur l’état actuel de l’Agenda 2063.

Que retenir des consultations initiées depuis 4 moins avec les parties prenantes ?

Déjà, il faut retenir que l’Agenda 2063 doit être pleinement participatif et tous les acteurs du continent doivent se l’approprier. Le continent tout entier doit participer à raviver l’esprit du travail collectif pour forger son destin. A cet effet, l’engagement des femmes et des jeunes est essentiel. Des consultations que nous avons eu jusqu’ici avec une grande franche de la société africaine, y compris la diaspora, on retient globalement qu’elle veut un continent prospère, fondé sur l’unité politique, la bonne gouvernance, l’État de droit, l’inclusion de tous, la paix et la sécurité, l’intégration régionale. Voilà, dans l’ensemble, ce qui émerge des échanges.

Vision de l'UA sur 50 ans: regard des médias africains !

Par Marie-Noëlle Guichi


Les médias africains, en conclave à Yaoundé du 10 au 13 décembre 2013, ont avoué l’importance de l'Agenda 2063, cette nouvelle vision portée par la Commission de l’UA. Mais pour eux, avoir une vision ne suffit pas. Il faut agir.

Pour les journalistes conviés à cette concertation, l’Union Africaine doit se doter d’une stratégie planifiée, à plus ou moins long terme, sur 5, 10, 25 et 50 ans. Il s’agit de se doter d’un bon planning, de s’assurer une mise en application efficiente du chronogramme arrêté. 

Une vue des participants à la concertation au Hilton
 Ils souhaitent que toutes les composantes de la société soient impliquées dans toutes les actions de l’Agenda 2063, pas seulement à la phase des consultations qui ont cours en ce moment, mais pendant la réalisation des projets aussi. 


Que les Etats africains combattent la corruption sur le continent et fassent en sorte que les domaines de l’éducation et de l’agriculture soient les secteurs prioritaires qui portent le développement de l’Afrique.

Renouveler la classe dirigeante

Les journalistes soutiennent qu’il est important d’insister sur la créativité, l’innovation et la productivité pour le développement de l’Afrique. Tout cela passe, disent-ils, par le renouvellement de toute la classe dirigeante politique, économique, sociale et culturelle ; afin que la jeune génération impulse la renaissance de l’Afrique.



  Emrakeb Assefa, The African  Editors Forum
L’on devra faire également appel à la diaspora africaine pour soutenir cette dynamique. Pour y arriver, il faudra une jeunesse entreprenante, dont les actions combinées à l’utilisation efficiente des ressources et des technologies de l’information et de la communication permettront un développement durable du continent. 

A ce sujet, il est important de promouvoir une implication plus accrue des femmes; d’encourager les programmes de développement communautaire ; et de faciliter les initiatives privées et individuelles. 

Toutes ces propositions ont été faites par écrit, par les médias africains, à l’Union Africaine. Ces médias entendent veiller à l’application de ces recommandations. Sinon, ils écriront pour dénoncer. En le faisant, ils sont dans leur rôle de chiens de garde de la société.