Par Marie-Noëlle Guichi
Un jeune Camerounais vient de consacrer, avec brio, une étude sur la problématique des positions communes de l’Organisation panafricaine, à la lumière des conflits Ivoirien et Libyen de 2011. Il en ressort que l’Union Africaine n’a pas toujours su faire bloc, pour défendre des positions communes face au reste du monde.
Réalisée par Marie-Noëlle
Guichi
Un jeune Camerounais vient de consacrer, avec brio, une étude sur la problématique des positions communes de l’Organisation panafricaine, à la lumière des conflits Ivoirien et Libyen de 2011. Il en ressort que l’Union Africaine n’a pas toujours su faire bloc, pour défendre des positions communes face au reste du monde.
Cette étude a
été réalisée dans le cadre d’un mémoire en vue de l’obtention d’un diplôme de Master
en Relations Internationales, option Intégration Régionale
et Management des Institutions Communautaires (IRMIC), à l’Institut des Relations
Internationales du Cameroun, IRIC.
GISLAIN TAKOUO face au Jury |
Son auteur, GISLAIN TAKOUO LAHA Théophile, déjà titulaire
d’un Master en Histoire n’y est pas allé du dos de la cuillère, lors de sa
soutenance jeudi, 19 décembre dernier à Yaoundé, devant un jury qui s’est
montré séduit par sa maîtrise du sujet. Du coup, le jeune diplomate s’est vu
attribuer la notre de 18 /20, avec la mention « Excellent ».
C’est le contraire qui aurait surpris.
Dans une salle archi comble, et face à un jury de trois, présidé par l’anticonformiste
Pr. Pascal Charlemagne Messanga Nyamding, ce jeune de 25 ans n’a pas eu le
moindre tract, déroulant son speech, quinze minutes durant, sans le moindre document
en main ; et se permettant de citer, mot à mot, des théoriciens ayant
travaillé sur ce sujet avant lui.
Pour cet étudiant,
« Bégaiement » et « apathie », semblent être les justes
mots d’avec lesquels il convient désormais de qualifier les réponses de l’Union
Africaine dans les crises que traversent ses membres et dans lesquelles elle
devrait en principe agir avec « promptitude » et « tact ». « Les raisons d’une telle descente aux
enfers sont bien connues : intérêts égoïstes de certains Etats, rejet de
la dimension supranationale de l’intégration, pour n’en citer que
celles-là », déclare GISLAIN TAKOUO.
Emerveillement
« L’expérience des conflits
ivoirien et libyen de 2011 est encore assez vivace dans nos mémoires pour
rendre compte du "bégaiement" et de l’apathie de l’Union Africaine
face à des questions d’enjeu sinon vital, du moins crucial pour le
continent », insiste le candidat.
Une attitude GISLAIN TAKOUO pendant les échanges |
A la fin de sa présentation, faite avec
beaucoup d’éloquence, le jury n’a pas caché son émerveillement. « C’est la première fois, depuis la
quinzaine d’années que j’enseigne à l’IRIC, qu’un étudiant s’exprime sans
papier et sans émotion, sans peur», confie Dr. Emmanuel Wonyu, directeur de
ce mémoire fait sous la supervision du Pr. Laurent Zang.
Dr. Emmanuel Wonyu, par ailleurs
Secrétaire général du ministère des sports et de l’éducation physique, a ainsi
loué l’éclectisme et le courage scientifique de ce jeune chercheur « très studieux, pointilleux sur les
détails, habité par son sujet… qui prend des positions là où beaucoup
d’étudiants se contentent de faire des synthèses plates », dira-il.
« C’est un panafricaniste militant.
Nous avons travaillé en bonne intelligence », a ajouté Dr. Emmanuel
Wonyu.
Tout aussi impressionné par la qualité
de ce travail, tant sur la forme que sur le fond, Dr. Armand Elono, également
enseignant à l’IRIC et examinateur de ce mémoire, affirmera qu’il est « excellent, bien fouillé, avec une
écriture fine. Il n’y a rien à redire », pense-t-il. Il apportera
juste un commentaire pour relancer le débat.
Puissance
évacuée
Une photo avec le jury à la fin |
Pour lui, le silence assourdissant de
l’Union Africaine, à chaque fois qu’un conflit est déclenché, est dû à
l’absence d’une pensée de la puissance sur le continent. Il note que « la question de la violence, qui se
trouve à l’intérieur de la puissance est évacuée ». Et lui de déplorer
le fait que l’Union Africaine privilégie
le côté « humaniste », en mettant de côté l’aspect
« armée ».
« Dès lors, l’extérieur impose à
l’Afrique ses éléments de puissance parce que l’Afrique a décidé de ne pas être
puissante », soutient Dr. Elono qui a suggéré à l’étudiant de
poursuivre ce travail, dans le cadre d’une thèse, en intégrant la philosophie
de la puissance, qu’il faut mettre dans la philosophie du développement. Il en
conclut que « si on associe les deux,
l’Afrique peut être émergente ».
Quant au Pr. Pascal Charlemagne Messanga Nyamding, Président du Jury et lui aussi enseignant à
l’IRIC, il a relevé chez le jeune chercheur « une
très bonne maîtrise des théories et une très bonne interprétation des textes
normatifs », pourtant, il n’est pas juriste. Mais il s’étonne que GISLAIN
TAKOUO n’aborde pas dans cette recherche les théories Tiers-mondistes et
développementalistes. « Mettons
beaucoup d’Afrique et il y’aura peu de France », a martèlé le Dr
Wonyu.
Lettre à la poste
Au regard de la clarté du travail, le
président du jury et l’examinateur se sont contentés de recommandations, pour
ouvrir la discussion. Fait curieux, seul le directeur du mémoire s’est permis
quelques questions à son filleul, sans doute pour qu’il y’ait véritablement
soutenance et que ce travail ne passe pas comme lettre à la poste. Il lui a
demandé, entre autres, d’expliquer ce qui fait que l’Afrique n’arrive pas à
faire bloc, dans un monde qui se construit en bloc et en grands ensembles.
Répondant à cette question majeure,
sujet même du mémoire, le candidat déclare que plusieurs raisons sont à évoquer.
D’une part, l’Union Africaine évolue dans un contexte international où les Etats
membres ont du mal à s’exprimer. D’autre part, il y’a les contraintes internes
des Etats. Le candidat s’est par exemple appuyé sur la théorie marxiste de la dependencia pour montrer la difficulté
de certains Etats à respecter les positions communes.
« Le
cordon ombilical n’est pas encore rompu entre l’Afrique et les puissances
colonisatrices d’hier », dira-t-il, tout en
relevant l’urgence d’un vrai panafricanisme, d’une renaissance de l’Afrique. Un
panafricanisme en lequel GISLAIN TAKOUO dit croire, même si l’accomplissement n’est
pas à brève échéance.
Plus loin avec… GISLAIN TAKOUO
« Que les praticiens
du panafricanisme puissent s’en approprier »
A
la fin de sa soutenance, le jeune chercheur panafricaniste s’est prêté à nos
questions, revenant sur les motivations de cette étude, sa nouveauté, et sa
portée.
Gislain Takouo lors de son speech |
Qu’est-ce
qui a motivé le choix d’un sujet sur l’Union Africaine, pour votre
mémoire ?
A l’heure de la
crise post-électorale en Côte-d’Ivoire et de l’insurrection armée en Libye,
grande a été la stupéfaction des Africains, à l’effet de constater qu’il était
encore difficile pour les membres de l’UA de formuler et de soutenir une
position commune. Pourtant, son Acte Constitutif réaffirme avec vigueur en son
article 3 alinéa "d", la détermination de l’organisation continentale
à, je cite, « promouvoir et défendre les positions africaines communes sur
les questions d'intérêt pour le continent et ses peuples ». Ces deux
situations paradoxales ont suscité chez nous un besoin pressant : celui de
comprendre les mobiles profonds qui peuvent justifier un tel état des choses.
Et c’est ce besoin de compréhension qui constitue, au demeurant, le
signal incitatif de notre recherche.
L’indolence de l’Union Africaine face
aux multiples conflits qui se déclarent sur le continent est un secret de
polichinelle. Quelle est la nouveauté de votre travail ?
C’est vrai qu’il serait quasiment trivial de
prétendre conduire une recherche scientifique de haut niveau comme celle-ci
pour aboutir à la conclusion selon laquelle l’Union Africaine serait indolente
face aux conflits qui subsistent en Afrique. Oui, la montagne aurait accouché
d’une souris ! Conscient donc de ce
fait, nous sommes allés au-delà de ce simple constat pour questionner
les raisons qui peuvent justifier cet état des choses ; car à notre avis,
toute solution à un problème commence par la compréhension du problème en
lui-même. Plus encore, nous avons formulé, au regard des causes que nous avons
pu relever, un certains nombre de propositions de solution pour "renverser
la vapeur". Notre vœu le plus cher est que ce travail ouvre davantage le
débat sur cette question et, surtout, que les praticiens du panafricanisme
puissent s’en approprier, afin qu’il contribue autant que faire se peut à la
construction de l’édifice panafricain.
Vous constatez dans votre étude que la formulation
et la défense des positions communes au sein de l’UA demeure encore un réel
défi pour cette organisation. Que peut faire l’Union
Africaine pour faire face aux élans égoïstes de ses membres ?
Dans le cadre des
suggestions que nous avons faites à ce sujet, nous estimons qu’il serait de
l’intérêt de cette organisation de procéder à un réaménagement structurel et
fonctionnel qui puisse lui permettre de renforcer les cadres du régionalisme qui sont encore supplantés par
ceux de l’intergouvernementalisme. Le réaménagement des structures de l’UA
devrait intervenir dans l’optique d’un rééquilibrage des différents cercles de
prises de décision et du réajustement des relations de l’organisation continentale
avec les CERs (Communautés Economiques Régionales) qu’elle a désignées comme
étant les piliers de l’intégration
africaine. Il s’agira donc, dans ce cas, de revisiter l’agencement de ses différentes structures
pour parfaire sa productivité et, partant, mieux garantir l’adhésion des Etats membres aux positions
communes continentales.
Par ailleurs,
au regard du fonctionnement de l’UA aujourd’hui, il semble que les Etats
membres mesurent mal tout l’intérêt qu’ils pourront tirer de la réalisation du
projet d’intégration continentale. Une meilleure sensibilisation de ces
derniers sur leur intérêt à y
participer pourrait assurément permettre de les rapprocher
davantage de l’Union et, de ce fait, réduire l’impact de la non-participation de certains Etats
membres à ses activités.
L’un des membres du jury propose à l’Afrique la
philosophie de la puissance comme solution aux attaques extérieures. Qu’en
pensez-vous ?
Nous
recevons cet élément comme une contribution importante qui rentre en droite
ligne de nos objectifs de recherche ; et sans toutefois s’opposer aux
approches qui sont les nôtres. En effet, nous partageons entièrement cette
vision de la puissance qui vient rompre avec l’angélisme traditionnel des Etats
africains en général et de l’UA en particulier, lorsque le continent fait face
à des enjeux importants. Si vous prenez des questions internationales
d’actualité telles que le nucléaire ou encore le problème d’un siège permanent
pour l’Afrique au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, vous verrez bien que le
refus obstiné des puissances occidentales à ouvrir ces portes aux Etats
africains vient du fait qu’ils sont conscients du rôle que joue la puissance
dans l’émergence et la prospérité des nations.
Quelle suite envisagez-vous, après un
master sur la problématique des positions communes de l’Union Africaine face
aux conflits ?
Comme le jury
l’a si bien relevé, je suis un fervent militant du panafricanisme, puisque j’ai
par ailleurs dirigé le Club Union Africaine de l’IRIC pendant les années que
j’y ai passé. Après une telle étude, je compte porter désormais mes
efforts au plan pratique et à quelque niveau que ce soit, pour l’avancement de la
cause panafricaine. Par ailleurs, je ne suis pas resté insensible à la
proposition de mon assesseur de poursuivre cette réflexion en thèse et donc, je
compte bien m’y engager en fonction des opportunités.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire