samedi 21 décembre 2013

Gestion des conflits en Afrique : l’apathie de l’Union Africaine mise à nu

Par Marie-Noëlle Guichi

Un jeune Camerounais vient de consacrer, avec brio, une étude sur la problématique des positions communes de l’Organisation panafricaine, à la lumière des conflits Ivoirien et Libyen de 2011. Il en ressort que l’Union Africaine n’a pas toujours su faire bloc, pour défendre des positions communes face au reste du monde.

Cette étude a été réalisée dans le cadre d’un mémoire en vue de l’obtention d’un diplôme de Master en Relations Internationales, option Intégration Régionale et Management des Institutions Communautaires (IRMIC), à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun, IRIC.

GISLAIN TAKOUO face au Jury
Son auteur,  GISLAIN TAKOUO LAHA Théophile, déjà titulaire d’un Master en Histoire n’y est pas allé du dos de la cuillère, lors de sa soutenance jeudi, 19 décembre dernier à Yaoundé, devant un jury qui s’est montré séduit par sa maîtrise du sujet. Du coup, le jeune diplomate s’est vu attribuer la notre de 18 /20, avec la mention « Excellent ».

C’est le contraire qui aurait surpris. Dans une salle archi comble, et face à un jury de trois, présidé par l’anticonformiste Pr. Pascal Charlemagne Messanga Nyamding, ce jeune de 25 ans n’a pas eu le moindre tract, déroulant son speech, quinze minutes durant, sans le moindre document en main ; et se permettant de citer, mot à mot, des théoriciens ayant travaillé sur ce sujet avant lui.

Pour cet étudiant, « Bégaiement » et « apathie », semblent être les justes mots d’avec lesquels il convient désormais de qualifier les réponses de l’Union Africaine dans les crises que traversent ses membres et dans lesquelles elle devrait en principe agir avec « promptitude » et « tact ». « Les raisons d’une telle descente aux enfers sont bien connues : intérêts égoïstes de certains Etats, rejet de la dimension supranationale de l’intégration, pour n’en citer que celles-là », déclare GISLAIN TAKOUO.

Emerveillement

« L’expérience des conflits ivoirien et libyen de 2011 est encore assez vivace dans nos mémoires pour rendre compte du "bégaiement" et de l’apathie de l’Union Africaine face à des questions d’enjeu sinon vital, du moins crucial pour le continent », insiste le candidat.

Une attitude GISLAIN TAKOUO pendant les échanges
A la fin de sa présentation, faite avec beaucoup d’éloquence, le jury n’a pas caché son émerveillement. « C’est la première fois, depuis la quinzaine d’années que j’enseigne à l’IRIC, qu’un étudiant s’exprime sans papier et sans émotion, sans peur», confie Dr. Emmanuel Wonyu, directeur de ce mémoire fait sous la supervision du Pr. Laurent Zang.

Dr. Emmanuel Wonyu, par ailleurs Secrétaire général du ministère des sports et de l’éducation physique, a ainsi loué l’éclectisme et le courage scientifique de ce jeune chercheur « très studieux, pointilleux sur les détails, habité par son sujet… qui prend des positions là où beaucoup d’étudiants se contentent de faire des synthèses plates », dira-il. « C’est un panafricaniste militant. Nous avons travaillé en bonne intelligence », a ajouté Dr. Emmanuel Wonyu.

Tout aussi impressionné par la qualité de ce travail, tant sur la forme que sur le fond, Dr. Armand Elono, également enseignant à l’IRIC et examinateur de ce mémoire, affirmera qu’il est « excellent, bien fouillé, avec une écriture fine. Il n’y a rien à redire », pense-t-il. Il apportera juste un commentaire pour relancer le débat.

Puissance évacuée 

Une photo avec le jury à la fin
Pour lui, le silence assourdissant de l’Union Africaine, à chaque fois qu’un conflit est déclenché, est dû à l’absence d’une pensée de la puissance sur le continent. Il note que « la question de la violence, qui se trouve à l’intérieur de la puissance est évacuée ». Et lui de déplorer le fait que l’Union Africaine privilégie  le côté « humaniste », en mettant de côté l’aspect « armée ».

 « Dès lors, l’extérieur impose à l’Afrique ses éléments de puissance parce que l’Afrique a décidé de ne pas être puissante », soutient Dr. Elono qui a suggéré à l’étudiant de poursuivre ce travail, dans le cadre d’une thèse, en intégrant la philosophie de la puissance, qu’il faut mettre dans la philosophie du développement. Il en conclut que « si on associe les deux, l’Afrique peut être émergente ».

Quant au  Pr. Pascal Charlemagne Messanga Nyamding,  Président du Jury et lui aussi enseignant à l’IRIC, il a relevé chez le jeune chercheur « une très bonne maîtrise des théories et une très bonne interprétation des textes normatifs », pourtant, il n’est pas juriste. Mais il s’étonne que GISLAIN TAKOUO n’aborde pas dans cette recherche les théories Tiers-mondistes et développementalistes. « Mettons beaucoup d’Afrique et il y’aura peu de France », a martèlé le Dr Wonyu.

Lettre à la poste
Au regard de la clarté du travail, le président du jury et l’examinateur se sont contentés de recommandations, pour ouvrir la discussion. Fait curieux, seul le directeur du mémoire s’est permis quelques questions à son filleul, sans doute pour qu’il y’ait véritablement soutenance et que ce travail ne passe pas comme lettre à la poste. Il lui a demandé, entre autres, d’expliquer ce qui fait que l’Afrique n’arrive pas à faire bloc, dans un monde qui se construit en bloc et en grands ensembles.

Répondant à cette question majeure, sujet même du mémoire, le candidat déclare que plusieurs raisons sont à évoquer. D’une part, l’Union Africaine évolue dans un contexte international où les Etats membres ont du mal à s’exprimer. D’autre part, il y’a les contraintes internes des Etats. Le candidat s’est par exemple appuyé sur la théorie marxiste de la dependencia pour montrer la difficulté de certains Etats à respecter les positions communes.

« Le cordon ombilical n’est pas encore rompu entre l’Afrique et les puissances colonisatrices d’hier », dira-t-il, tout en relevant l’urgence d’un vrai panafricanisme, d’une renaissance de l’Afrique. Un panafricanisme en lequel GISLAIN TAKOUO dit croire, même si l’accomplissement n’est pas à brève échéance.




Plus loin avec… GISLAIN TAKOUO

« Que les praticiens du panafricanisme puissent s’en approprier »

A la fin de sa soutenance, le jeune chercheur panafricaniste s’est prêté à nos questions, revenant sur les motivations de cette étude, sa nouveauté, et sa portée.
  
Gislain Takouo lors de son speech
Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un sujet sur l’Union Africaine, pour votre mémoire ?

A l’heure de la crise post-électorale en Côte-d’Ivoire et de l’insurrection armée en Libye, grande a été la stupéfaction des Africains, à l’effet de constater qu’il était encore difficile pour les membres de l’UA de formuler et de soutenir une position commune. Pourtant, son Acte Constitutif réaffirme avec vigueur en son article 3 alinéa "d", la détermination de l’organisation continentale à, je cite, « promouvoir et défendre les positions africaines communes sur les questions d'intérêt pour le continent et ses peuples ». Ces deux situations paradoxales ont suscité chez nous un besoin pressant : celui de comprendre les mobiles profonds qui peuvent justifier un tel état des choses. Et c’est ce besoin de compréhension qui constitue, au demeurant, le signal incitatif de notre recherche.

L’indolence de l’Union Africaine face aux multiples conflits qui se déclarent sur le continent est un secret de polichinelle. Quelle est la nouveauté de votre travail ?

C’est  vrai qu’il serait quasiment trivial de prétendre conduire une recherche scientifique de haut niveau comme celle-ci pour aboutir à la conclusion selon laquelle l’Union Africaine serait indolente face aux conflits qui subsistent en Afrique. Oui, la montagne aurait accouché d’une souris ! Conscient donc de ce  fait, nous sommes allés au-delà de ce simple constat pour questionner les raisons qui peuvent justifier cet état des choses ; car à notre avis, toute solution à un problème commence par la compréhension du problème en lui-même. Plus encore, nous avons formulé, au regard des causes que nous avons pu relever, un certains nombre de propositions de solution pour "renverser la vapeur". Notre vœu le plus cher est que ce travail ouvre davantage le débat sur cette question et, surtout, que les praticiens du panafricanisme puissent s’en approprier, afin qu’il contribue autant que faire se peut à la construction de l’édifice panafricain.

Vous constatez dans votre étude que la formulation et la défense des positions communes au sein de l’UA demeure encore un réel défi pour cette organisation. Que peut faire l’Union Africaine pour faire face aux élans égoïstes de ses membres ?

Dans le cadre des suggestions que nous avons faites à ce sujet, nous estimons qu’il serait de l’intérêt de cette organisation de procéder à un réaménagement structurel et fonctionnel qui puisse lui permettre de renforcer les cadres du  régionalisme qui sont encore supplantés par ceux de l’intergouvernementalisme. Le réaménagement des structures de l’UA devrait intervenir dans l’optique d’un rééquilibrage des différents cercles de prises de décision et du réajustement des relations de l’organisation continentale avec les CERs (Communautés Economiques Régionales) qu’elle a désignées comme étant les piliers de l’intégration  africaine. Il s’agira donc, dans ce cas, de revisiter  l’agencement de ses différentes structures pour parfaire sa productivité et, partant, mieux garantir  l’adhésion des Etats membres aux positions communes continentales.
Par ailleurs, au regard du fonctionnement de l’UA aujourd’hui, il semble que les Etats membres mesurent mal tout l’intérêt qu’ils pourront tirer de la réalisation du projet d’intégration continentale. Une meilleure sensibilisation de ces derniers sur leur intérêt à y  participer  pourrait  assurément permettre de les rapprocher davantage de l’Union et, de ce fait, réduire l’impact de  la non-participation de certains Etats membres à ses activités.

L’un des membres du jury propose à l’Afrique la philosophie de la puissance comme solution aux attaques extérieures. Qu’en pensez-vous ?

Nous recevons cet élément comme une contribution importante qui rentre en droite ligne de nos objectifs de recherche ; et sans toutefois s’opposer aux approches qui sont les nôtres. En effet, nous partageons entièrement cette vision de la puissance qui vient rompre avec l’angélisme traditionnel des Etats africains en général et de l’UA en particulier, lorsque le continent fait face à des enjeux importants. Si vous prenez des questions internationales d’actualité telles que le nucléaire ou encore le problème d’un siège permanent pour l’Afrique au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, vous verrez bien que le refus obstiné des puissances occidentales à ouvrir ces portes aux Etats africains vient du fait qu’ils sont conscients du rôle que joue la puissance dans l’émergence et la prospérité des nations.

Quelle suite envisagez-vous, après un master sur la problématique des positions communes de l’Union Africaine face aux conflits ?

Comme le jury l’a si bien relevé, je suis un fervent militant du panafricanisme, puisque j’ai par ailleurs dirigé le Club Union Africaine de l’IRIC pendant les années que j’y ai passé. Après  une  telle étude, je compte porter désormais mes efforts au plan pratique et à quelque niveau que ce soit, pour l’avancement de la cause panafricaine. Par ailleurs, je ne suis pas resté insensible à la proposition de mon assesseur de poursuivre cette réflexion en thèse et donc, je compte bien m’y engager en fonction des opportunités.

Réalisée par Marie-Noëlle Guichi



 

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