vendredi 4 avril 2014

Entrepreneuriat social : l’Afrique trace son sillon

Par Marie-Noëlle Guichi

Certains entrepreneurs africains se montrent de plus en plus pointilleux sur la limitation du gaspillage, l’offre de services innovants alliant qualité-prix, la lutte contre le chômage…

Les grosses marges bénéficiaires ne sont pas la priorité pour ces nouveaux entrepreneurs qui se lancent dans un système économique à but non lucratif, qui a pour seul objectif de résoudre les problèmes des populations et d'améliorer leurs conditions de vie. Ces généreux Africains font de l’entrepreneuriat social…pour le plus grand bonheur des moins nantis. Voici quelques tableaux :

En Ethiopie, l’entreprise sole Rebels fabrique d’élégantes chaussures artisanales, avec de belles semelles en caoutchouc, faites de pneus de voiture recyclés. Sa trouvaille, très respectueuse de l'environnement, avec un engagement pour une empreinte zéro carbone, s’écoule localement et sur des marchés internationaux. La pérennité de l’activité est garantie par le riche patrimoine artisanal d’Ethiopie. Des centaines de défavorisés de ce pays y ont trouvé un emploi permanent. Il  leur permet de nourrir leurs familles, parfois très nombreuses. 

Au Malawi, le Sud-Africain Paul Scott Matthew, Directeur Afrique de North Star Alliance, a imaginé une merveilleuse solution pour atténuer les impacts alarmants de VIH / SIDA sur les travailleurs ambulants. S’étant rendu compte que les chauffeurs de camion, très exposés à la pandémie n'avaient pas accès aux soins de santé de base pendant le travail, il a créé pour eux un réseau de 22 cliniques reliées entre elles, appelées « Roadside Wellness Centres ». Déjà présentes dans les 10 régions du Malawi, elles offrent aux travailleurs mobiles et aux communautés touchées, un accès continu de haute qualité à la santé et aux services de sécurité.

Au Burkina Faso, Seri Youlou, agriculteur burkinabé, et Thomas Granier, maçon français, ont construit, il y’a dix ans, une maison à voûte nubienne. Puis, ils ont formé des agriculteurs à la construction de maisons voûtées avec des toits en terre. L’activité constitue aujourd’hui une source de revenus pour de nombreux agriculteurs pendant les saisons maigres. Manière très originale aussi de fournir aux populations du Sahel des solutions de logement écologiquement durable, seule alternative à l’utilisation de bois rare et de tôles chaudes et chères. A ce jour, plus de 200 maçons ont construit environ 1300 maisons à voûte nubienne en Afrique de l'Ouest grâce à cette technique apprise au sein de l’association l'association « La Voûte Nubienne » co-fondée par Séri et Thomas, devenus ainsi socio-entrepreneurs.

Révolution entrepreneuriale

Aucun pays Africain ne semble plus en marge de la révolution entrepreneuriale. Dans des secteurs très variés allant de l’accès aux soins de santé, à l’éducation, en passant par l’énergie, l’agriculture, le social network, le e-commerce, le m-payment ou encore le e-gouvernement… de nombreux entrepreneurs africains se démarquent par leurs offres innovantes et moins chères.

De G à D: Jacques Bonjawo et Emmanuel Mbuende de QuickDO-Book-Box
On se souvient encore de la toute dernière édition des AfricaCom Awards, le prix orange de l’entrepreneur social en Afrique. Rendus publics le 13 novembre 2013, les résultats de ce concours ont révélé l’engouement qui règne sur le continent : plus de 455 candidatures issus de 15 pays africains. Parmi les 12 finalistes, 3 lauréats ont été retenus. Le 1er prix est revenu à l’entreprise camerounaise QuickDo-BookBox qui propose une offre d'automates et liseuses numériques installées dans les universités, centres culturels, bibliothèques, librairies etc. Ceci, dans le but de facilité la lecture aux populations du Sud, au prix maximum de 1 euro par livre. A la date du concours, elle totalisait, en deux ans d’existence, 500 000 contenus numériques placés. 

Ivoire Job, lui, a remporté le 2è prix de ce concours, avec un projet qui vise à faciliter l’accès aux opportunités d’emploi en Côte d’Ivoire à travers une plateforme web, mobile et un système SMS. Ces supports sont autant d’espaces d’échange et de partage d’expérience entre demandeurs d’emploi, salariés en poste et cabinets de recrutement. 

Chifco, le 3è prix, est une entreprise tunisienne qui propose un service de contrôle et d’optimisation de la consommation d’énergie. Cette solution vise à contrôler à distance les équipements les plus énergivores dans des environnements domestiques ou professionnels.  Grâce à Chifco qui démarre sa commercialisation en Juillet 2014, entreprises et particuliers vont pouvoir réduire leur facture d'électricité.

Le jury a certainement eu de la peine à mettre les autres nominés de côtés, tant leurs offres sont tout aussi innovantes et porteuses de développement.




Plus loin avec…

Thierry Téné, Directeur de l'Institut Afrique RSE 


« Il faut (…) créer des masters et des chaires sur le social business… »

Thierry Téné
Expert africain de la croissance verte et de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), Thierry Téné a publié plus de 100 chroniques sur les opportunités du social-green business en Afrique. Depuis 2011, l'Institut Afrique RSE organise chaque année, en partenariat avec une organisation patronale africaine, le forum international des pionniers de la RSE et la croissance verte en Afrique. Il nous parle ici de l’entrepreneuriat social en Afrique.

A votre avis, l’Afrique regorge-t-elle suffisamment d’entreprises qui répondent à des besoins sociaux et environnementaux ?

Il est important de préciser qu’il y a une différence entre le social business et le Business du Bas de la Pyramide (Bottom of the Pyramid : BoP). Le premier est un investissement à finalité social et dont il y a très peu de redistribution de bénéfices car ils sont prioritairement réinjectés dans le projet pour réduire le prix de vente aux consommateurs ou à l’utilisateur final. Le BoP est une stratégie de business orientée vers les personnes qui gagnent en moyenne moins de 3 000 dollars par an.

En Afrique, nous avons très peu de projet de social business. Par ailleurs, on observe quelques projets de BoP portés notamment par les grands groupes.
Pour ce qui est de l’environnement, nous avons plusieurs éco-entreprises positionnées sur le créneau du green business.
  
Disposez-vous de statistiques fiables dans ce domaine sur le continent Africain? Quelle est la situation ailleurs dans le monde ?

On ne dispose pas assez de statistique sur le social business en Afrique. Au niveau mondial, nous n’avons pas de statistiques fiables.

Quels sont les freins à l’entrepreneuriat social en Afrique ?

La notion d’entrepreneuriat social n’est pas encore bien appréhendée par les africains. C’est le principal handicap à son implémentation sur le continent. Le deuxième frein est l’absence de politiques publiques pour inciter les entreprises et les porteurs de projet à intégrer le social business. Les autorités auraient tout intérêt à soutenir ce type de projet au vue de l’impact socio-économique. Le troisième frein est l’absence de ressources humaines et de compétences pour concevoir et mettre en œuvre des projets de social business.

Quels types de solutions préconisez-vous pour une véritable émergence d’entrepreneurs sociaux en Afrique ?

Il faut sensibiliser et former les entrepreneurs africains sur le social business. Pour combler le manque de statistique et de connaissance sur cette thématique, la publication d’études et analyses semble indispensable. L’un des points essentiels est la formation. Très peu d’universités ou d’écoles de management et de commerce proposent des cursus sur le social business. Il faut donc créer des masters et des chaires sur le social business avec le soutien des entreprises.

Réalisée par Marie-Noëlle Guichi