Par Junior Matock
Le colloque
international ISDERA (Innovative Service Environnement for Recycler Artisan) ouvert hier, 27 mai 2014 à l’Ecole
Nationale Supérieure des Travaux Publics de Yaoundé prend fin ce jour. Les
travaux ont pour thème : « Place et rôle des acteurs du recyclage
artisanal des déchets dans la mise en place d’une économie sociale verte en
Afrique subsaharienne : l’exemple du projet ISDERA ».
Photo de famille à l'ouverture du colloque |
La rencontre mobilise près de deux cents invités parmi
lesquels des élus locaux du Cameroun et du Burkina-Faso ; des
représentants de l’Union européenne ; des universitaires, des enseignants,
de nombreux étudiants et des artisans.
Hier, lors de la cérémonie d’ouverture qui a connu la participation de
plusieurs membres du gouvernement Camerounais,
le représentant du délégué du gouvernement auprès de la communauté
urbaine de Yaoundé, Jean Ngougo s’est réjouit d’accueillir cet évènement dont
l’opportunité n’est plus à démontrer. « Yaoundé
est une ville cosmopolite qui accueille des populations qui migrent. Parmi
ceux-ci, figurent les artisans recycleurs qui occupent une place de choix dans
notre économie», a-t-il déclaré.
A sa suite, le ministre des Travaux Publics, Patrice Amba
Salla, a précisé que ce type de rencontre doit aider les Africains à « traduire dans les faits les
connaissances acquises à l’école, au risque de les répéter comme des
perroquets ». Prenant la parole pour le lancement solennel du
colloque, le ministre camerounais de l’Habitat et du Développement Urbain, Jean
Claude Mbwentchou, relève que le thème à l’ordre du jour est « évocateur et doit constituer
le point de départ d’une dynamique, longue et fructueuse de coopération entre
les collectivités territoriales décentralisées, les institutions de recherche
et gouvernementales, les artisans recycleurs et les partenaires au développement,
pour un développement harmonieux de nos cités ».
Ceci nécessite à son
avis, « un effort exceptionnel de
dépassement dans la réflexion ». Le but d’une telle rencontre étant,
précise t-il, « d’offrir une
meilleure visibilité à l’activité du recyclage artisanal, avec l’implication
des élus locaux et des acteurs étatiques au plus haut niveau ».
Les attentes
Jean Ngougo souhaite que le colloque apporte aux décideurs de
nouvelles données qui faciliteront l’élaboration de nouvelles politiques dans
le domaine du recyclage des déchets et de l’encadrement des artisans recycleurs
dans le but de donner un nouveau visage à nos villes. Pour le ministre
Jean-Claude Mbwentchou, en plus de constituer une base de réflexion, le
colloque doit se conclure par une appropriation des concepts et des
propositions concrètes qui permettront d’avancer durablement avec méthode et
efficacité dans l’accomplissement des objectifs communs.
En terme de résultats attendus, le ministre Jean-Claude
Mbwentchou, pense que la rencontre devrait favoriser : la promotion d’une
nouvelle profession, celle d’ « Artisan recycleur » ; une
visibilité plus accentuée des acteurs du secteur de la récupération artisanale
des déchets ; une reconnaissance sociale pour ces acteurs de la salubrité
urbaine ; la régression de la pauvreté et la pérennisation de nos
valeurs ancestrales et un accompagnement des pouvoirs publics dans la
matérialisation des micro-projets de développement de l’activité de récupération
artisanale des déchets.
Les artisans recycleurs
donnent une seconde vie aux déchets
Par Mirabelle
Enaka
Transformer
des plastiques pour en faire des bracelets, des sacs et autres accessoires est
désormais une réalité. De même que recycler les déchets d’huile
et de soude de la SODECOTON pour
la fabrication du savon. Les artisanes
venues du septentrion du Cameroun le démontrent à souhait par de simples gestes.
Les fabricantes du Garlaka à l’œuvre |
Par
des gestes habiles, les artisans ressortent le meilleur de chaque matière
première. Une combinaison de résidu
d’huile de palme et de soude
passée au feu pendant un certain
temps permet ainsi d’obtenir du savon
Garlaka qui est utilisé par les ménages.
Cette pratique comme le confirme Mapre Marie-claire, est devenue la principale activité de cette dame ainsi que celle de l’ensemble
des femmes du Groupement d’Initiative
Commune auquel elle appartient.
Non loin de Marie-Claire ,Youmbi Mimosette
tient avec dextérité le crochet qui lui sert de principal instrument pour
fabriquer un accessoire de mode féminin. L’assemblage de couleur et l’esprit de
créativité mis ensemble, donnent un produit
final d’un éclat certain. «
Travailler les déchets d’emballages
plastiques est ma passion. Seulement, le plus difficile est de les collecter à
partir des poubelles et autres lieux de dépôt
de déchets. Très souvent je suis traitée de folle mais aussi,
je fais mes collectes sans aucune mesure de protection », regrette
Mimosette.
Le
grattoir monté en cinq minutes
par un jeune artisan à partir d’un morceau de bois et d’une boîte de
conserve vide constitue également un véritable attrait pour les yeux. D’où cette affirmation du Ministre de
l’Habitat et du développement Urbain, Jean-Claude Mbwentchou, à l’ouverture du
colloque. «Les déchets constituent
désormais une mine d’or.» Comme lui, de nombreux autres orateurs ont loué
l’ingéniosité des artisans qui créent des objets de valeur à partir de rien,
contribuant ainsi à la préservation du patrimoine culturel et environnemental, tout en se forgeant un métier.
Les
observateurs regrettent cependant la non professionnalisation véritable de ces
métiers, et d’un encadrement technique des gestes et pratiques déployés au cours des processus. Car pour
eux, transformer les déchets à partir de procédés spontanés et dépourvus d’une certaine technicité et maîtrise des
composantes chimiques et donc
potentiellement nocives, pourraient constituer
non seulement un danger pour les
acteurs principaux, mais aussi une source de pollution et de détérioration de
l’environnement. Beaucoup suggèrent donc de prendre en compte cet enjeu afin
de donner à ces métiers innovants, des
valeurs qui s’inscrivent dans la durabilité
et la responsabilité vis-à-vis de l’environnement.
Des Burkinabè et Camerounais qui vivent d’ordures
Par Michel Tessoh Téné
Mettant en valeur la coopération Sud-sud, ils
étalent leurs talents dans le cadre de l’exposition de deux jours à l’Ecole
Nationale Supérieure des Travaux Publics de Yaoundé. Leur activité rapporte
gros.
Décoration à partir de cornes et de peaux de bœuf |
Nourou,
Maître artisan, sculpteur sur corne et calebasse, est originaire de Maroua à
l’Extrême-Nord du Cameroun. Il expose des produits utilitaires issus de la
transformation de cornes de bœuf tels que les fauteuils, tables, guéridons, Chausse-pieds,
porte-clés et bien d’autres ; et des produits à base de calebasse comme
les tabourets, tables, Abat-jours, Calebasses décorées et bien plus. Ses
produits sont à base de cornes de bœuf.
L’artisan affirme être dans ce secteur
depuis au moins huit ans et avoir déjà gagné trois prix, notamment un prix de
l’innovation au Burkina Faso en 2006 ; un autre au Festival National des
Art et de la Culture, FENAC, à Maroua en 2008 ; et un dernier au Salon
International de l’Artisanat du Cameroun, SIAC, en 2010.
Autrefois étudiant, il vit aujourd’hui de son métier et dit ne pas regretter
son choix. Un autre Camerounais du nom
de Hyoukouamo Clovis Bertin, étudiant, présente des « râpes de cuisine »
fabriqués à partir de la récupération des boites de laits. C’est une activité
parallèle qu’il mène uniquement à ses heures creuses, mais qui lui permet
d’assurer les charges de sa scolarité.
Le
Burkinabè Dao Dramane, est fabricant du matériel agricole. A cette exposition « savoir-faire
négro-africain de la récupération des déchets », il présente son
pulvérisateur artisanal qui sert à repousser les abeilles lors de la récolte du
miel, au moyen d’un caoutchouc préalablement allumé et introduit dans
l’appareil dont un mouvement de va et vient de la manche fait sortir de la
fumée qui repousse les abeilles.
Même s’il est à sa première participation à un évènement international, il affirme
vivre de son métier qu’il pratique
depuis plusieurs années. Son compatriote Wedraogo Seidou présente des
chaussures fabriquées à base des vieilles roues de véhicule. Il témoigne que le
groupe qu’il encadre a déjà gagné un prix au SIAC.
Mimoselle
Youmbi, de son nom d’artiste MAOPO, Maison d’Art d’Objets Perdus en Or,
présente un stand garni de plusieurs objets utilitaires, notamment les
bracelets, les nappes, chapeaux, sacs à main, tapis et objets de décoration. Elle dit être dans ce
secteur d’activité depuis 2007 et affirme ne faire que cela depuis qu’elle a
découvert cette mine d’or. Basé à Douala, elle est également engagée depuis
quelque temps dans un partenariat avec l’Union Européenne, et a déjà remporté
plusieurs prix nationaux et internationaux avec ses réalisations.
Ayancho
Ngwa Pius originaire du Nord-Ouest Cameroun, présente des tableaux et vêtements
faits essentiellement à partir d’objets issus de son environnement naturel. Sa
matière première est constituée des écorces d’arbre, du bois, de la calebasse,
des branches et même des coquillages. Il affirme avoir déjà gagné près de 12
prix, souvent accompagnés d’argent, même de faible montant. Il espère tout de
même qu’avec la reconnaissance progressive et la vulgarisation des métiers de
recyclage artisanal, les choses iront mieux.
Malick : un artisan recycleur pas comme les autres
Par Nadège MBA EMAH
Né à Ouagadougou au Burkina Faso, Malick ZOUNGRANA est responsable de Malik-ART, une
entreprise de fabrication de joints en pneu venus.
Malick devant ses œuvres |
Sur
les étagères où sont exposés des chaussures et des sacs d’art, les jeunes
filles sont émerveillées de découvrir que la récupération des pneus usés
peu donner lieu à des chaussures
tendances que l’on arbore, même à de grandes occasions. C’est l’œuvre de Malick
ZOUNGRANA . Il est l’exemple type
du jeune homme né dans la pauvreté qui a pourtant décidé de changer le cours de
son histoire par sa créativité.
Ne
pouvant continuer ses études du fait de la pauvreté de ses parents, il décide
de se lancer très tôt dans la vie active. Il veut aller plus loin que ne lui
permettent ses origines sociales. Après avoir exercé plusieurs petites activités, il finit par
trouver sa voie, un soir, de retour d’une visite amicale. Sur son chemin,
il remarque un groupe d’enfants qui brulent des pneus sur le bitume. C’est
alors qu’une idée lumineuse lui traverse l’esprit : ne peut-on pas se
servir de ce matériau qui ressemble étrangement au cuir pour en faire des
chaussures et des sacs ? se demande-t-il intérieurement.
Il
abandonne tout et se lance dans la récupération des pneus pour en faire des
objets utiles. Ne voulant pas marcher
sur les pas de ses parents artisans vivant dans la précarité, il veut sortir de
l’ordinaire et aller plus loin. Malick rassemble donc quelques uns de ses amis
désœuvrés, pour mettre sur pieds une activité rentable qui lui permet de lutter
contre la pollution des gaz issus des pneus brulés. Son groupe travaille ainsi
en collaboration avec les garages de Ouagadougou, pour récupérer et recycler
les pneus usés.
Mais
son rêve ne se réalise que lorsque le gouvernement burkinabé décide de lui
attribuer une aide qui va lui permettre de mettre sur pieds définitivement un
micro projet baptisé Malik-ART , une entreprise citoyenne qui fabrique
toutes sortes de joints en pneu, tables meubles, cendriers, chaussures, coffres
miroirs, paniers, sacs et coiffeuses .
Aujourd’hui,
à 36 ans, marié et père de plusieurs enfants, Malick Zoungrana peut se vanter
d’être l’un des rares jeunes de son pays sans diplôme scolaire, mais pouvant se
permettre de parcourir le monde pour faire découvrir son art.
Artisanat : la nouvelle
manne économique
Par Solange AMOUGA
Au
colloque de Yaoundé, l’atelier avec pour
thème « L’économie sociale et solidaire des déchets en Afrique : le
cas du recyclage artisanal des déchets au Cameroun et Burkina Faso », a
permis aux participants d’analyser les atouts des déchets.
Une vue des officiels lors du colloque |
Parlant
de la récupération de déchets, Foé AMBARA, chercheur associé au projet ISDERA,
affirme : « Il s’agit
d’une activité caractérisée par l’usage des matières premières, avec pour
objectif de mettre en évidence l’existence d’une économie sociale et solidaire
dans le recyclage artisanal des déchets. Il faut s’en inspirer pour encourager
la mise en place au Cameroun et au Burkina Faso, d’une politique nationale de
gestion des déchets solides, favorisant la mise en place d’une économie. »
Cependant,
ce secteur d’activité fait face à de nombreuses difficultés, ce qui ne lui
permet pas de s’étendre et se développer. Foé AMBARA,
confirme : « C’est une organisation
inadaptée des structures de production et de commercialisation, la faiblesse
des moyens investis, le manque d’équipement adéquat (outils et machines), l’insuffisance de la main d’œuvre, le manque
de formation des artisans (notamment aux stratégies de marché), un soutien des pouvoirs publics encore timide. »
Pour pallier ces obstacles, certaines mesures doivent être misent en place. « Les autorités doivent encourager la
mise en place au Cameroun et au Burkina Faso, d’une politique nationale de gestion des
déchets solides, favorisant l’émergence d’une économie verte. Une meilleure
organisation du marché qui permettra de trouver des débouchés pour l’écoulement
des produits», suggère le chercheur.
Le
Pr. George SAWADOGO, Président de l’université de Koudougou au Burkina Faso, résume
les allocutions des autres panélistes en ces termes : « Pour qu’il y ait une économie verte, il faut
aussi des acteurs verts. A partir du moment où un artisan arrive à donner vie à
quelque chose qui n’avait plus de vie, c’est un créateur. Donc, les gens
doivent cesser de les traiter de sales, pauvres ou encore sans diplômes, qui en
fait n’ont rien à faire de leur temps. »
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